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Un autre monde : Soirs d’été dans les quartiers (Septembre 2020)

Je pratique la médiation à mon insu depuis bien longtemps et il aura suffi d’une étincelle pour que je choisisse d’en faire un métier. Le plus passionnant de tous, celui qui « fout les poils » lorsqu’on accompagne deux parties en conflit avec juste l’intention qu’elles s’écoutent pour mieux se comprendre.

La posture est une chose mais l’expérience de l’écoute sans jugement ou sans conseil en est une autre. Je décide alors de m’expérimenter sur un autre terrain, moins confortable, celui de la médiation dite sociale pour me confronter à mes représentations et autres clichés.

A ce titre, mon expérience de bénévole au MAN (Mouvement pour une Alternative Non-violente) cet été, aura été une expérience humaine bouleversante.

La découverte d’un monde inconnu ou presque à quelques encablures de chez moi.

« Les médiations nomades » existent depuis 4 ans sur Lyon : Un médiateur motivé, une Asso en soutien, quatre villes partenaires (Saint-Fons – Vénissieux – Villeurbanne – Vaulx-en-Velin), des bénévoles formés à l’écoute, des micro-quartiers, des soirs d’été…

Il est presque 20h, la camionnette du MAN s’installe à un coin de rue, sur un trottoir, au pied des tours. Elle suscite la curiosité car trois visages éclairants recouvrent la carrosserie : Mandela, Gandhi, Luther King.

Les enfants arrivent en courant : « C’est qui ? »

D’autres savent car c’est le quatrième été que Xavier Dormont, le médiateur du MAN, gare le véhicule à cet endroit.

Quelques chaises, des bancs, un jerrycan d’eau, un thermos de thé marocain et des bénévoles qui proposent aux passants de discuter, prendre un verre, échanger, … tout simplement.

Beaucoup refusent poliment, ils sont pressés, « peut-être une autre fois… », d’autres s’arrêtent : « C’est bien ce que vous faites », « vous croyez que ça peut servir à quelque chose ?».

Notre présence parait parfois suspecte : « Qu’est-ce que ça vous rapporte à vous ? », « Qui vous paie ? »

Les ingrédients sont réunis pour se découvrir.

21h, des mamans s’arrêtent pour évoquer leur difficulté du quotidien, le travail tôt le matin, le bruit tard le soir, les enfants qu’il ne faut pas laisser traîner. 22h, un groupe de filles qui n’osent pas venir jusqu’au camion mais disent leur difficulté à rencontrer des garçons. 23h, on va « au contact », à la rencontre des jeunes et moins jeunes regroupés autour de bancs, dans des squares, derrière des bosquets : Le rap, quelques bières, des joints qui tournent. L’appartenance au micro-quartier et la solidarité sont souvent mises en avant. Le découragement aussi.

Le discours est souvent désabusé, fataliste : Les places de deal, les feux d’artifice ? « C’est comme ça ! Chacun se débrouille ». La police ? « On leur parle pas, ils s’arrêtent pas, c’est très bien »

Le tout entrecoupé de grands éclats de rire. Car il y a de la joie à être ensemble, aussi.

Parmi les personnes qui passent nous voir, des salariés du Centre social (« il faut continuer, ne surtout pas lâcher le terrain »), des médiateurs sociaux qui arpentent les trottoirs tous les jours et connaissent tout le monde, des conseillers municipaux nouvellement élus et donc plein d’espoir et d’énergie : « On va faire bouger les choses, il y a urgence ».

Yvette, Serge, des historiques du MAN qui étaient auprès du Père Delorme en 83 pour la marche des Beurs ont toujours l’œil qui brille : « C’est essentiel d’être présent, de maintenir le lien ».

Minuit : Il est temps d’éteindre la lanterne, de plier bagages.

Xavier, dont l’objectif est de créer des points de rencontre entre habitants, jeunes, polices et institutionnels, a réussi à tisser des liens avec des groupes de jeunes, un travail de longue haleine : « A mardi prochain ! »

En rentrant chez moi, je passe en revue les visages et les regards croisés, les sujets abordés.

Des personnes attachantes, surprises qu’on s’intéresse un peu à elles, Rafa le danseur, Kevin l’intello, Rada le sans papier, … mais aussi les petits qui chouffent, le trafic, le repli sur soi, et la tension, toujours là, bien présente. Vous avez dit clichés ?

Je mesure le confort de mon monde.

… Un autre monde.   

 

Une posture (le médiateur) + Un processus (la médiation) + Un outil (la CNV) : Et si on essayait ?